Rinascimento!
2020
RE01

Et demain on fait quoi ?
Rinascimento !

 

Pour en finir avec l’architecte thaumaturge

Face à la crise sanitaire, écologique, politique, sociale et artistique, il est venu le moment d’affirmer que le devenir de la société et de la ville ne peut pas être décidé par le simple travail des architectes. C’est souvent la pratique de l’homme dans l’espace qui modèle l’architecture et la ville et rarement l’inverse. Au cours du vingtième siècle on a cru que les solutions aux crises pouvaient venir d’un simple projet, on a donné le pouvoir à l’architecte de déclamer des solutions infaillibles, de pouvoir simplifier la complexité de la société par des formules architecturales génériques. On est passé de la présomption moderniste de la tabula rasa du passé aux injections hygiéno-écologistes pour lesquelles le simple fait de « verdir » un endroit nous amènerait vers un avenir radieux. A présent, c’est le moment de faire preuve de modestie, de se nettoyer des paillettes, de quitter l’habit de l’architecte guru et de magicien thaumaturge.

 

Hic et Nunc.

L’architecture seul n’arrive ni à prévoir ni à gérer l’avenir. Les besoins qui génèrent les projets changent, se modifient ou cessent alors que les projets restent souvent figés sans pouvoir suivre ces changements. Le projet qui ne tient pas compte des modifications des besoins pour lesquels il est conçu, est un projet qui naît en retard et qui ne peut pas prétendre vouloir répondre par l’architecture à des questions vite obsolètes. C’est la pratique humaine, imprévisible et complexe, qui arrive à chaque fois, ici et maintenant, à adapter l’architecture et l’espace en fonction de nouveaux besoins et de désirs souvent éphémères.

 

Pour une architecture essentielle.

Structurer les projets sur l’interprétation de données statistiques, de tendances de marchés, ou de modèles sociologiques abstraits veut dire condamner le projet à un échec certain car l’imprévisibilité de l’avenir ne peut justement pas être appréhendée par cette méthode quantitative. Pour faire face à l’indéterminé, il faut donc revenir à l’essence originelle de l’architecture. Au lieu de proposer des projets pour l’avenir basés sur des diagrammes savants de déplacements ou des prévisions chiffrées sur le changement climatique nous devrions revenir à une approche sensible et poétique du projet. Il s’agit de penser à une architecture essentielle, résiliente aux crises et changements, dessinée à travers des éléments simples et intemporels. Une architecture qui essaie de parler aux hommes et à leurs sens sans avoir la prétention de les changer. Cette architecture est là parmi nous depuis des siècles et nos villes historiques en sont le témoignage le plus évident. Une architecture essentielle qui accueille, abrite, résiste aux bouleversements imprévus en s’adaptant à chaque fois aux nouveaux besoins : la douceur et la modestie d’un portique qui nous accompagne entre la pluie, l’ombre et le soleil, la forme d’une terrasse qui nous invite à la contemplation, le dessin informel d’une place qui nous permet la rencontre imprévue.

 

Laisser agir le temps.

Dans un contexte où la réflexion est écrasée par la vitesse et où la production architecturale est dominée par le spectacle éphémère d’images virtuelles, considérer le temps long veut dire réintégrer l’homme et sa complexité au centre du processus de changement. Ne pas s’arrêter sur le moment présent permet d’élargir notre regard d’architecte au delà de la crise, en nous évitant de succomber aux fétiches technologiques à la mode comme solution facile et miraculeuse mais vite obsolète. Il est venu le moment de laisser le temps agir avec sa lenteur sur l’architecture et le moment pour nous tous de reconsidérer la ville comme un processus en devenir, sensible, atemporel et poétique.

 

Favoriser le désir de rencontre.

C’est la rencontre inattendue, inespérée, anonyme, secrète et clandestine qui a fait de la ville le haut lieu de liberté par rapport à la monotonie et au contrôle social de la campagne.

Retourner aujourd’hui à cette condition de liberté est une nécessité vitale pour la survie de la ville. Cela nous permettra de retrouver ces deux conditions, l’imprévu et l’anonymat, qui font que la rencontre reste un désir et non une obligation sociale ou un acte de consommation et de contrôle. C’est dans la ville de la rencontre que nous passerons de simple usagers-touristes à habitants-voyageurs, où l’important ne sont pas les points de départ et d’arrivée, ni le temps à passer, ni le mode de consommer, mais le passage en soi, la découverte, l’imprévisibilité. C’est ainsi qu’en abandonnant l’approche purement spatiale ou technologique typique de l’architecture actuelle, il sera possible de développer un travail sur plusieurs dimensions de temps et la mise en relation de sensations individuelles. Dans ce lieu, la découverte de l’autre devient un acte gratuit de partage de l’espace et du temps et la confrontation un acte de création collective et non de compétition individuelle.

 

Une multitude de voyages.

Pour ce faire nous revendiquons la déambulation sans destination comme pratique de rencontre de l’autre et de création de l’espace. Il ne s’agira plus de définir la ville comme un endroit de passage fonctionnel mais comme un chez soi changeant au gré des rencontres désirées, inattendues, inespérées, anonymes, secrètes et clandestines… : la ville comme un réseau de parcours à faire et défaire à travers la stimulation des sens au-delà du contexte patrimonial codifié. Une multitude de voyages qui s’entrecroiseront et que consentiront la transgression des règles et du contrôle diffus de la ville moderne.

 

Eclater le monstre.

Même si nous le savions déjà, c’est aujourd’hui que la métropole aux limites infinies est enfin apparue comme une des causes de l’énième crise. La ville hors échelle gérée comme un centre commercial n’a pas résisté. Le silence des quartiers vidés par les touristes nous a montré à quel point la ville avait pactisé avec le mirage diabolique du tourisme et de quel destin fragile elle en avait hérité. Les gens fuyants vers la campagne, nous ont rappelé en suite les pires images dystopiques que la société marchande et sa culture populaire aiment tant à diffuser pour digérer les peurs. En réalité, le virus nous a montré du doigt le roi nu. Sans le spectacle marchand et touristique voilà des centres vidés, déserts et désormais inutiles, tout autour, des habitants survivants confinés dans des périphéries déconnectées et trop grandes. Il nous reste aujourd’hui la responsabilité d’éclater ce monstre infini et informe pour retrouver des milliers de morceaux urbains vivants.

 

Un réseau polycentrique de biodiversité urbaine.

Un changement de paradigme s’impose pour notre besoin naturel de communauté. Et si la nature semble être la valeur refuge en période de crise, c’est en revanche, et comme toujours, dans l’espace urbain que nous trouverons la réponse à ce besoin. La ville historique, ce palimpseste architectural complexe et vivant est prêt pour générer à elle seule un tissu de petites activités commerciales de voisinages, où les distances courtes, la rencontre, l’aide et l’échange réciproques seront privilégiés. Par émulation la périphérie pourra s’insérer dans ce tissu et devenir une lisière ouverte vers la campagne. Pour ce faire il faut revenir à une échelle urbaine réduite, un réseau polycentrique en équilibre avec le contexte paysager et garantir une complexité d’activité comme une biodiversité urbaine.

 

Ugo Nocera – AAUN – 17/5/2020
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